Agents devant une route barrée

Inondations dans le Pas-de-Calais : Des agents territoriaux au cœur du dispositif

Une grande partie du département du Pas-de-Calais a traversé ses dernières semaines des conditions météorologiques particulièrement éprouvantes. 265 communes sont officiellement reconnues en état de catastrophe naturelle (181 par arrêté du 15 novembre et 84 de plus par arrêté du 30 novembre voir au bas de cet article). Au-delà des tempêtes successives qui ont frappé les Hauts-de-France depuis début novembre, ceux sont des épisodes ininterrompus de pluie depuis presque mi-octobre qui sont venus aggraver fortement la situation. L’alternance de pluies diluviennes et de pluies continues a provoqué des débordements de cours d’eau qui ont eux-mêmes inondé des sols déjà gorgés d’eau et des habitations. Ce cumul spectaculaire a considérablement ralenti la décrue au grand désespoir des sinistrés.

Cette situation qualifiée « d’épisode pluvieux centennal » par des climatologues de Météo-France a donné du fil à retordre aux services publics en première ligne sur le front des inondations. Au même titre que les services de secours, les élus et leurs personnels territoriaux (agents des communes, des établissements publics, du département du Pas-de-Calais, etc…) ont été directement impactés par cette catastrophe. Dès le début de cette crise, comme l’indique Joël Duquenoy président du CdG62, ils ont été les premiers maillons de la chaîne de solidarité et de protection des populations. Le CdG62 est donc allé à leur rencontre pour leur rendre hommage.

 

Entretien avec Olivier Planque, conseiller régional et maire d’Audruicq, commune du Calaisis touchée par les inondations (plus de 5 500 habitants pour 70 agents)

Route inondée
Vue aérienne d'une route inondée
Olivier Planque accompagné du DGS et des agents du service technique

CdG62 : Comment votre commune a-t-elle été touchée par l’épisode des inondations ?

O. Planque : Je ne vais pas trop m’étendre sur les raisons qui ont provoqué les inondations de la vingtaine de logements sur la collectivité. Sans pour autant minimiser, des problèmes d’entretien se posent sur certains ouvrages de rejet à la mer qui ne relèvent pas de notre responsabilité (curage non réalisé, problème de fragilisation des berges par les rats musqués…). Ces difficultés devront être analysées avec attention et prises en compte par les services de l’état afin d’y apporter des solutions et ainsi éviter que cela ne se reproduise à l’avenir. Ce que je souhaite souligner ici, c’est le travail exemplaire des agents des services de la commune face à cette crise.

CdG62 : Quel a été le rôle du personnel ?

O. Planque : Pour mieux comprendre, il faut remettre la situation dans son contexte. Courant septembre, à l’initiative de Pierre Ferrari, notre DGS, le conseil municipal d’Audruicq avait adopté son plan communal de sauvegarde (PCS). Hélas, celui-ci a depuis été déclenché 2 fois, la première lors de l’attentat d’Arras le 13 octobre dernier puis la seconde à l’occasion des inondations. Heureusement avec ce dispositif, la commune était prête à (ré)agir.

CdG62 : Comment le PCS fonctionne-t-il ?

O. Planque : La cellule de crise du PCS est coordonnée par Betty Delbaere, employée aux ressources humaines mais également assistante de prévention de la commune. Cette cellule est composée du maire, des adjoints concernés (différents selon la thématique ici les travaux et les affaires scolaires), de la direction générale, de l’assistante de prévention, des services techniques, de la police municipale et du service communication. Ce mode de fonctionnement est très efficace pour sa réactivité face aux incidents rencontrés. Cela permet d’avoir tous les acteurs concernés autour de la table, de transmettre les informations à l’ensemble des services en totale transversalité et donc de réagir vite sur le terrain avec les agents.

CdG62 : Justement, comment s’est déroulée la mobilisation du personnel pendant cette période ?

O. Planque : Vous savez, dans les communes quand il y a un problème de cette taille, en tant qu’élus vous êtes mobilisés 24h/24h week-end inclus. Pour les agents, c’est plus ou moins la même chose, dans le respect de la législation évidemment. Le plus gros du travail a été réalisé par les agents des services techniques, à qui il faut vraiment rendre hommage ainsi qu’aux agents de notre police municipale. Ils étaient par tout temps mis à contribution pour barrer les routes et suivre la situation sur le terrain. Ensuite nous devions transmettre l’information le plus rapidement possible à la population via la presse, les réseaux sociaux, etc… Tout le monde s’est adapté en permanence.

CdG62 : Avez-vous une idée des conséquences pour le budget de la commune ?

O. Planque : C’est encore trop tôt pour le dire. Indéniablement, nous allons avoir un impact sur les frais de fonctionnement (temps de travail du personnel) et sur l’investissement (entretien de routes, dégradations de véhicule et de la signalétique) mais ce n’est pas le plus important. Ce qui compte, c’est que les agents aient veillé à la sécurité de notre population avec un volontariat et une solidarité exemplaire. Ils ont assuré une continuité du service public sans relâche depuis début novembre. C’est ce que je préfère mettre en avant sur cet épisode qui a marqué la commune et je tiens véritablement à les en remercier.

 

Entretien avec Julien Delannoy, maire de Wavrans-sur-l’Aa, commune de l’Audomarois concernée par les inondations (près de 1 300 habitants pour 10 agents)

Inondations - Vue aérienne
Agents sur une route inondée

CdG62 : Votre commune a été touchée par les inondations, comment avez-vous géré cette crise ?

J. Delannoy : La commune étant traversée par l’Aa, nous avons malheureusement déjà été victime d’inondations importantes en 2002 mais pas de cette ampleur, ce qui fait que la collectivité était préparée à agir. Depuis 2002, nous avons mis des choses en place au niveau local et du matériel adapté. Le SmageAa et la communauté de communes du Pays de Lumbres ont aussi fait des aménagements importants pour limiter ce type d’incidents, cependant l’épisode que nous avons vécu était tellement fort que cela n’a pas suffi. Fort heureusement, la commune avait mis à jour son plan communal de sauvegarde (PCS) et nous disposons également d’une Réserve Communale de Sécurité Civile (RCSC) composée d’une dizaine de bénévoles dont des anciens agents sur lesquels les habitants peuvent compter en cas de coup dur.

CdG62 : Comment avez-vous organisé votre action avec les agents face à cette situation ?

J. Delannoy : Dès le placement du département en vigilance et bien en amont des inondations, nous sommes allés au contact des personnes vulnérables et des habitations à risque (celles inondées en 2002) pour prévenir les habitants et les aider à protéger leurs biens et se préparer à la montée des eaux. Nous avons ainsi assuré une surveillance constante du 6 au 9 novembre mais tout s’est accéléré le 10. Le niveau d’eau est brusquement monté avec un courant très important, il a donc fallu mettre près de 150 personnes à l’abri. En prévision, nous avions réquisitionné et aménagé la salle des fêtes pour accueillir les sinistrés et les mettre en sécurité. Le personnel communal avait tout préparé et ils ont également participé à l’évacuation des habitants aux côtés des services de secours. Il sont restés pour soutenir les 60 personnes hébergées d’urgence dans la salle des fêtes, les autres habitants avaient trouvé refuge chez des amis ou de la famille ou encore chez des habitants solidaires. En complément du dévouement du personnel, il y a eu un véritable élan de solidarité au sein de la commune, que ce soit les commerçants qui ont aidé pour l’intendance, ou les habitants qui ont participé à l’hébergement en catastrophe… même des enfants avaient offert des « doudous » de remplacement aux enfants sinistrés. Tout le monde a fait preuve d’une énorme solidarité.

CdG62 : Des bâtiments communaux ont-ils été touchés ?

J. Delannoy : L’école et la garderie ont été inondés plus gravement qu’en 2002. Nous avons dû fermer les locaux après le passage de l’eau mais le personnel communal a mis la priorité sur le nettoyage et la remise en état des bâtiments, 2 jours après seulement nous étions en capacité d’accueillir à nouveau les enfants. C’était important de leur redonner des repères et un rythme scolaire normal après ce qu’ils avaient vécu. Nos bâtiments, ce n’est rien comparés aux 55 maisons qui ont été gravement touchées. Malgré le classement en catastrophe naturelle, les experts ne sont pas encore tous passés et des assurances sont parfois très pointilleuses sur certains aspects… Ce n’est pas encore terminé pour le côté administratif de cet épisode et le personnel épaule aussi les administrés à faire leurs démarches.

CdG62 : Comment envisagez-vous l’avenir ?

J. Delannoy : Je pense que tous les acteurs doivent prendre conscience qu’il va falloir faire des efforts et travailler dans le même sens pour éviter cela à l’avenir. Chacun a son rôle à jouer, les particuliers doivent entretenir les fossés dans leurs terrains, le monde agricole doit faire attention avec le ruissellement des eaux pluviales… les collectivités territoriales aussi doivent être précurseurs, à titre d’exemple, à Wavrans-sur l’Aa nous avons un projet de barrage hydroélectrique sur le site d’un ancien moulin qui pourrait peut-être nous permettre de freiner le mouvement de l’eau et apporter un début de solution. Quoi qu’il en soit, la commune et ses agents seront aux côtés des habitants pour les aider et trouver des solutions. Les territoriaux n’ont pas une place facile car ils sont toujours en première position auprès du public quand quelque chose ne va pas, ils aussi ont parfois une mauvaise image auprès des populations, néanmoins ceux sont les premiers sur qui on peut compter quand c’est nécessaire. Je tiens vraiment à leur dire bravo car ils ont toujours été là quand nous avons eu besoin d’eux, ils ont été réactifs au même titre que les bénévoles et ça c’est le plus important.

 

Les agents des Unités Routes et Mobilités du Pas-de-Calais, du personnel essentiel au cœur de la crise

Les intempéries ayant fortement impacté les conditions de circulation sur le réseau départemental, des agents territoriaux du Département du Pas-de-Calais se sont également retrouvés en première ligne dès le début des événements. Le CdG62 est allé au contact d’agents de Centres d’Exploitation Routiers des secteurs concernés.

Le Département du Pas-de-Calais exerce, de par la loi, diverses compétences au nombre desquelles l’exploitation et l’entretien du réseau routier départemental au titre de la thématique infrastructure et aménagement. Les voiries départementales, ceux sont plus de 6200 km de routes réparties sur 8 territoires : Arrageois, Artois, Audomarois, Boulonnais, Calaisis, Lens-Hénin, Montreuillois et Ternois. Ces secteurs bénéficient de services territorialisés dénommées Maisons du Département Aménagement et Développement Territorial, les MDADT (au même titre que les Maisons du Département Solidarités, les MDS). Les MDADT assurent de nombreuses missions parmi lesquelles conduire les opérations d’études et de travaux pour le patrimoine routier ainsi que conduire la politique d’exploitation et de maintenance du patrimoine routier et gérer le domaine public routier départemental. Ces missions sont assurées par les agents des Unités Routes et Mobilités des MDADT qui sont répartis sur l’ensemble du territoire dans des entités de proximité dénommées les Centres d’Exploitation Routiers (CER au nombre de 38 sur le département) cela représente environ ainsi près de 400 agents sur le terrain.

En raison des inondations, 4 secteurs ont été plus durement touchés l’Audomarois, le Boulonnais, le Calaisis et le Montreuillois. Les typologies des terrains sont très différentes tout comme les problématiques, certains secteurs sont en zone marécageuses donc sujets aux débordements, d’autres sont plus vallonnés donc plus exposés aux ruissellements, par conséquent les dégâts causés au réseau routier ou aux ouvrages d’art ne sont pas les mêmes. Dans tous les cas la priorité du Département à travers ses agents d’exploitation est d’assurer la sécurité des usagers des routes (voir l’encadré sur le travail des agents d’exploitation du Département).

« En cas d’incidents les agents ont l’habitude de gérer, cependant là, nous avons été confrontés à des circonstances exceptionnelles et un cumul de difficultés », comme l’indique Adrien Doliger, adjoint au directeur de la MDADT du Calaisis, « la succession de pluies diluviennes a multiplié les zones inondées et la tempête a couché un certain nombre d’arbres sur le bord des routes tout en compliquant la tenue des panneaux de déviation face au vent. »

Ce qui a considérablement aggravé la tâche du Département, c’est la durée dans le temps de cet épisode météorologique, obligeant les responsables et chefs d’équipes à modifier l’organisation pour avoir le personnel nécessaire sur le terrain. « En temps normal, l’organisation est bien rodée et le dispositif de veille qualifiée permet d’assurer une surveillance du réseau routier 24h/24-7j/7. Mais là nous avons dû jongler avec les plannings et les astreintes afin de respecter la durée légale du travail tout en ayant les moyens humains suffisants pour répondre aux besoins sans mettre en danger les collègues. » ajoute Georges Magalhaes responsable d’Unité Routes et Mobilités au sein de la MDADT du Boulonnais.

Toutes les routes ne sont pas classées de la même façon, leur classification diffère en fonction de leur fréquentation par les poids-lourds. Si la vigilance apportée par les agents des CER reste la même quel que soit le secteur, de ce classement découle des priorités de traitement. « Un axe qui désert l’approvisionnement d’une grosse agglomération sera nécessairement traité avant une voirie de 3ème catégorie moins empruntée. Néanmoins tout est mis en œuvre pour intervenir dans les meilleurs délais sur l’ensemble du territoire. La connaissance du terrain par les agents d’exploitation et l’échelon de proximité mis en place par le Département, même dans les secteurs plus ruraux fait toute la différence. » comme le précise Loïc Routier responsable de secteur du CER de Coyecques pour la MDADT de l’Audomarois.

Le département était d’ailleurs au cœur des remontées d’informations de terrain à destination de la cellule de crise mise en place par la préfecture du Pas-de-Calais. Un fil info permettait aux agents d’exploitation de signaler en temps réel les difficultés rencontrées sur le réseau et d’adapter les décisions prises pour l’organisation des secours en fonction des besoins.

Dans le cadre des inondations, la majeure partie des routes barrées a été rouverte à la circulation dès le lendemain après nettoyage et sécurisation par les agents du département. Quelques routes nécessiteront de plus lourds travaux et le Département a estimé à 50 millions d’euros le montant de l’enveloppe nécessaire pour remettre en état les voiries et les ouvrages d’art touchés par les inondations. L’hiver qui s’annonce n’est d’ailleurs pas bon signe car le gel pourrait venir endommager plus gravement les voiries dont les fondations sont déjà fragilisées par l’excès d’eau. La surveillance du réseau pendant l’hiver s’annonce déjà compliquée.

Voiture sur route inondée
Panneaux route barrée
Agents abattant un arbre sur la chaussée
Effondrement d’accotement
Agents travaillant avec une pelleteuse
Effondrement de talus

L’ensemble des responsables de secteurs et chefs d’équipes est unanime pour saluer l’esprit de corps qui a animé les agents d’exploitation du Département pendant cette période où leurs interventions pouvaient même devenir dangereuses (vent violents, chute d’arbres, force du courant…). Les agents ont parfois fait passer le devoir du service public avant leur vie de famille et tous insistent pour leur rendre hommage et valoriser leur travail d’autant que la période hivernale qui arrive peut être synonyme de fortes sollicitations en fonction de la météo et qu’ils risquent encore d’être mis à rude épreuve d’ici la fin de saison.

 

Plus d’informations :

Arrêté du 14 novembre 2023 portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle (Source : www.legifrance.gouv.fr)
Arrêté du 30 novembre 2023 portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle (Source : www.legifrance.gouv.fr)
L’action du Département du Pas-de-Calais sur le réseau routier (Source : www.pasdecalais.fr)
Dispositif de soutien exceptionnel aux particuliers et aux entreprises sinistrés (Source : www.economie.gouv.fr)

Remerciements aux élus et aux cadres territoriaux pour le temps accordé, aux directeurs des MDADT ainsi qu’à leurs équipes pour leurs autorisations, leurs témoignages et leur accompagnement sur le terrain et surtout aux agents des communes et aux agents d’exploitation du Département du Pas-de-Calais pour le travail réalisé pendant les inondations. (Crédits photos : Service communication de la ville d'Audruicq - Mairie de Wavrans-sur-l'Aa - Agents d'exploitation du Département du Pas-de-Calais)